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Andrée Chédid est née au Caire en 1920. Ses parents ont émigré après avoir fui leur pays, le Liban. Elle étudie en Égypte mais également en France. En 1946, elle s’installe définitivement en France avec sa famille et acquiert la nationalité française. Elle choisit la langue française pour l’ensemble de son œuvre. Débutant par la poésie, elle est également à l’origine de nombreux romans et nouvelles, dont Le Sixième jour (1960), et L’Enfant multiple (1989) et d’essais. En 2000, elle publie le roman Le Message. À l’origine de ce roman se trouve une photographie que l’autrice a vue dans un journal. Elle s’en inspire tout d’abord pour un court récit qu’elle développe quelques années plus tard. Son œuvre questionne la condition humaine et son style très fluide et poétique est un hymne à l’amour du prochain, à la tolérance et à l’ouverture à l’autre. Elle est la grand-mère de Mathieu Chédid, plus connu sous le pseudonyme M, pour lequel elle a écrit plusieurs chansons, dont Je dis aime. Atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle s’est éteinte en 2011.

Cet extrait constitue l’incipit du roman Le Message.


Une interview d’Andrée Chédid sur son pays de cœur, le Liban, et sur son influence sur son œuvre. https://www.ina.fr/video/I10023948/andree-chedid-video.html
Comparaison de premières de couverture : laquelle correspond le mieux, selon vous, à l’extrait que vous avez lu et à l’image que vous vous faites de l’œuvre ? https://booknode.com/le_message_050741/covers

Tandis qu’elle avançait à grands pas la jeune femme sentit soudain, dans le dos, le point d’impact de la balle. Un mal cuisant, aigu, bref.
Il lui fallait à tout prix arriver à l’heure dite. La rue était déserte. Elle continua sa marche, comme si rien ne s’était passé.
L’illusion ne dura pas.
Autour, les arbres déracinés, la chaussée défoncée, les taches de sang rouillées sur le macadam, les rectangles béants et carbonisés des immeubles, prouvaient clairement que les combats avaient été rudes ; et la trêve, une fois de plus, précaire.
Marie venait d’être atteinte d’une décharge dont elle était ou n’était pas la cible. Mais sa plaie était bien réelle. Elle replia son bras vers l’arrière pour palper cette plaie, puis contempla avec horreur sa main baignée de sang.
Marie ne veut pas en savoir plus. La douleur l’a brûlée, transpercée, et, d’un seul coup, lâchée. Cette blessure n’est peut-être que superficielle. Il faut l’ignorer, ne pas en retenir l’image. Faire comme si rien ne s’était passé ; ce qui compte, à présent, au-delà même de sa vie, c’est d’arriver à l’endroit où Steph l’attend. À vingt minutes à pied d’ici ; devant la tête de pont, à l’angle du parapet en ciment gris. Elle imagine déjà Steph agitant ses bras à son approche, avant de se précipiter à sa rencontre.
Steph habite beaucoup plus loin, à l’autre extrémité de la ville, parmi les collines, près du chantier de fouilles où il travaille depuis deux ans avec une équipe d’archéologues de différentes nationalités. Plusieurs heures lui auront été nécessaires pour parvenir à leur rendez-vous. Il a sans doute dû se faufiler entre les combattants, courir, s’arrêter, se dissimuler, reprendre souffle, repartir. Son courage domine toujours les événements. Arrivée à proximité du pont, Marie l’aurait aperçu de très loin à cause de sa haute taille. Steph a de larges épaules, un ventre et des jambes musclés, des cheveux d’ébène, des yeux verts. Elle le trouve beau. Il est beau ; on le remarque partout.
Steph affronte les dangers, déjoue les pièges. Il est fantaisiste et réfléchi, téméraire et responsable. Il est sur place, il l’attend ; elle en est persuadée.

Andrée Chedid
Le MessageChapitre 1 
2000