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Monique Serf, alias Barbara, est une artiste : à la fois pianiste et chanteuse, elle se fait connaître d'abord en Belgique dans les années 50 où elle rencontre Jacques Brel qui l'encourage à persévérer en raison de sa voix particulière. Elle enregistre un album en 1960 qui la consacre meilleure interprète. Elle se révèle d'abord dans des cabarets avant d'investir les scènes les plus prestigieuses. Ses succès sont nombreux : « L'Aigle noir », « Gottingen », « Dis, quand reviendras-tu ? » Sa carrière s'interrompt en 1993, suite à un problème de santé.

En 1997, Barbara commence la rédaction d'Il était un piano noir. Il s'agit ici de l'incipit (la première page) de ses Mémoires interrompus dans laquelle elle revient sur les fêlures de son enfance et sur sa carrière.


https://www.lumni.fr/video/c-est-qui-barbara : Capsule présentant l'artiste.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-barbara-ou-l-art-total : Série de 4 podcasts de 60 minutes chacun « Barbara ou l'art total »
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-serie-musicale/la-serie-musicale-d-ete-barbara-11-au-15-07-du-mardi-12-juillet-2022-6990712: Podcast « la série musicale », Barbara, épisode 2/5 : l'ami piano (environ 30 minutes)

Plus jamais je ne rentrerai sur scène.
Je ne chanterai jamais plus.
Plus jamais ces heures passées dans la loge à souligner l'œil et à dessiner les lèvres avec toute cette scintillance de poudre et de lumière, en s'obligeant avec le pinceau à la lenteur, la lenteur de se faire belle pour vous.
Plus jamais revêtir le strass, le pailleté de velours noir.
Plus jamais cette attente dans les coulisses, le cœur à se rompre.
Plus jamais le rideau qui s'ouvre, plus jamais le pied posé dans la lumière sur la note de cymbale éclatée.
Plus jamais descendre vers vous, venir à vous pour enfin nous retrouver.
Un soir de 1993, au Châtelet, mon cœur, trop lourd de tant d'émotion, a brusquement battu trop vite et trop fort, et, durant l'interminable espace de quelques secondes où personne, j'en suis sûre, ne s'est aperçu de rien, mon corps a refusé d'obéir à un cerveau qui, d'ailleurs, ne commandait plus rien.
J'ai gardé, rivée en moi, cette panique fulgurante pendant laquelle je suis restée figée, affolée, perdue.
J'ai dû interrompre le spectacle pendant quelque temps, puis définitivement.
Je suis quand même partie en tournée, deux mois après ; je raconterai ce que fut cette tournée, du premier jour au dernier soir.
Ensuite j'ai regagné Précy avec un manque immense, et, durant deux ans, j'ai fait le deuil d'une partie de ma vie qui venait brusquement de se terminer.
Écrire, aujourd'hui, est un moyen de continuer le dialogue.
Pourquoi ai-je accepté, pour la première fois, de parler d'un avant ? Parce que je suis la seule à pouvoir le faire ! Je vais donc essayer, même si le temps déforme les images qui deviennent floues ou, au contraire, trop précises, trop joyeusement ou douloureusement exactes.
J'ai beaucoup de travail qui m'attend, mais c'est un travail que j'aime, je ne vais pas m'en plaindre.
Il est six heures du matin, j'ai soixante-sept ans, j'adore ma maison, je vais bien. De la pièce où j'écris, je vois le jardin : les premières roses sont apparues et la glycine blanche dégouline dans le patio.

Barbara (Monique Serf)
Il était un piano noir... Mémoires interrompus, Incipit 
1998