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Yasmina Reza est née à Paris le 1er mai 1959. Elle suit des études en sociologie et en théâtre à l’issue desquelles, après avoir interprété quelques rôles dans des pièces et des films, elle se tourne, à vingt-cinq ans, vers l’écriture. Conversation après un enterrement est sa première pièce. Mise en scène en 1987 par Patrice Kerbrat, la pièce connaît un succès tel qu’il vaudra à son auteur un premier Molière. Sept ans plus tard, la pièce Art triomphe et Yasmina Reza décroche alors un second Molière. L’auteure écrit également des romans et des nouvelles. Quel que soit le genre auquel elle s’attèle, elle offre un regard à la fois tragique et drôle sur la condition humaine. Le dieu du carnage, pièce écrite en 2006, repose sur des personnages bourgeois, cultivés, « débordés par leurs nerfs », dont le vernis s’écaille pour laisser place à la sauvagerie. La pièce a été jouée pour la première fois le 2 décembre 2006, à Zurich.

Le texte étudié est extrait de la pièce de théâtre Le dieu du carnage de Yasmina Reza. Dans cette pièce contemporaine on ne trouve aucun découpage en acte ou en scène. Au cours d’une altercation dans un square, un enfant de onze ans en blesse un autre du même âge. Afin d’établir une déclaration d’accident, les parents de la victime, reçoivent chez eux les parents du jeune agresseur. La scène se déroule dans leur salon. Le point de départ de ce huis-clos entre les quatre personnages est la rédaction de la déclaration d’accident.


Interviews de Yasmina Reza https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-de-la-dispute/spectacle-vivant-les-choix-de-yasmina-reza https://www.franceculture.fr/emissions/voix-nue/yasmina-reza-15 https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001601/l-ecriture-theatrale-pour-yasmina-reza.html
BO du film de Roman Polanski https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19245502&cfilm=183445.html

Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. Ce soir est la fin d’un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L’air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque.

J’ai été soldat de deuxième classe dans l’infanterie pendant quatre ans, dans des régiments de montagnards. Avec M. V., qui était mon capitaine, nous sommes à peu près les seuls survivants de la première 6ème compagnie. Nous avons fait les Éparges, Verdun-Vaux, Noyon-Saint-Quentin, le Chemin des Dames, l’attaque de Pinon, Chevrillon, Le Kemmel. La 6ème compagnie était un petit récipient de la 27ème division comme un boisseau à blé. Quand le boisseau était vide d’hommes, enfin, quand il n’en restait plus que quelques-uns au fond, comme des grains collés dans les rainures, on le remplissait de nouveau avec des hommes frais. On a ainsi rempli la 6ème compagnie cent fois et cent fois. Et cent fois on est allé la vider sous la meule. Nous sommes de tout ça les derniers vivants, V. et moi. J’aimerais qu’il lise ces lignes. Il doit faire comme moi le soir : essayer d’oublier. Il doit s’asseoir au bord de sa terrasse, et lui, il doit regarder le fleuve vert et gras qui coule en se balançant dans des bosquets de peupliers. Mais, tous les deux ou trois jours, il doit subir comme moi, comme tous. Et nous subirons jusqu’à la fin.

Yasmina Reza
Le dieu du carnage , L’extrait se situe au début de la pièce. (Une situation à aplanir)
2007