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Louis Pergaud est né en 1882 dans un petit village situé près de Besançon. Après de brillantes études, il a exercé comme instituteur, tout comme son père, dans le Jura, en 1901. Il s’y est marié avec une collègue institutrice dont il s’est ensuite séparé, quatre ans plus tard, pour aller vivre en région parisienne : ses idées socialistes et anticléricales avaient été la source de vives tensions dans les villages du Doubs. Il enseigne à Arcueil puis à Maisons-Alfort et se consacre à l’écriture en s’inspirant, pour ses récits, des observations faites sur la vie à la campagne. Son ouvrage De Goupil à Margot, histoire de bêtes obtient le Prix Goncourt en 1910 ; La Guerre des boutons sera rédigée dans le même esprit. Louis Pergaud, sous-lieutenant, est mort pour la France près de Fresnes en Woëvre, dans le secteur des Éparges le 6 avril 1915, à l’âge de 33 ans, lors d’une attaque de son régiment contre les lignes allemandes. Il avait tenu un carnet de guerre. L'association des Amis de Louis Pergaud a inauguré, à Marchéville en Woëvre, le 24 novembre 1996, une stèle érigée près de l'endroit où il a disparu.

Comme le précise le sous-titre, La Guerre des boutons prend appui sur les souvenirs de Louis Pergaud qui a passé son enfance et son adolescence à la campagne. On y découvre des combats épiques entre des bandes rivales d’enfants de villages voisins qui se retrouvent au moment de la rentrée des classes. Ainsi ceux de Longeverne (originaires de Landresse) guidés par Lebrac et ceux de Velrans (en provenance de Salans) formant la troupe de l'Aztec des Gués, échangent des coups et des injures. Ensuite, ils ont l’idée de prélever sur les vaincus tous les boutons de leurs vêtements, lacets ou agrafes qu’ils emportent comme des trophées de guerre, d’où le titre du roman, laissant les perdants rentrer chez eux, bien honteux et certains de recevoir une bonne correction de leurs parents. On découvre ici la première page du roman, précédée d’une épigraphe empruntée à M. de Montaigne : « Quant à la guerre... il est plaisant à considérer par combien de vaines occasions elle est agitée et par combien légères occasions éteinte : toute l’Asie se perdit et se consomma en guerre pour le maquerelage de Paris. Montaigne (Livre second, ch. XII) ». Ce livre, dédié à son ami Edmond Rocher, s’adresse ainsi aux lecteurs : « Cy n’entrez pas, hypocrites, bigotz, Vieulx matagots, marmiteux borsouflez... » C’est une phrase de Rabelais (également XVI° siècle) qui avait ainsi averti le lecteur de son roman Gargantua : « Mieux est de ris que de larmes écrire Parce que rire est le propre de l’homme. VIVEZ JOYEUX ! »


L’édition originale : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8625632p/f17.image
Un enregistrement : https://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-romans/louis-pergaud-la-guerre-des-boutons.html?
Pergaud et la guerre : http://memorial-verdun.fr/museecollections/la-visite/les-objets-emblematiques/la-malle-de-louis-pergaud https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/histoires-14-18-louis-pergaud-guerre-boutons-vraie-guerre-643563.html
Comparer les bandes-annonces de ces 3 versions : laquelle est la plus proche de ce que vous avez imaginé en lisant le roman ? Bande annonce de l’adaptation cinématographique de 1961 : https://www.youtube.com/watch?v=dkfZGXyKTVk La Guerre de boutons de Yann Samuell (2011) : https://www.youtube.com/watch?v=r8Fi4JkQXW0 La Nouvelle guerre des boutons de Christophe Barratier (2011): https://www.youtube.com/watch?v=7gDuJb_WTog

– Attends-moi, Grangibus ! héla Boulot, ses livres et ses cahiers sous le bras.
– Grouille-toi, alors, j’ai pas le temps de cotainer, moi !
– Y a du neuf ?
– Ça se pourrait !
– Quoi ?
– Viens toujours !
Et Boulot ayant rejoint les deux Gibus, ses camarades de classe, tous trois continuèrent à marcher côte à côte dans la direction de la maison commune.
C’était un matin d’octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait l’horizon aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les pruniers étaient nus, les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer tombaient en une sorte de vol plané, large et lent d’abord, qui s’accentuait d’un seul coup comme un plongeon d’épervier, dès que l’angle de chute devenait moins obtus. L’air était humide et tiède. Des ondes de vent couraient par intervalles. Le ronflement monotone des batteuses donnait sa note sourde qui se prolongeait de temps à autre, quand la gerbe était dévorée, en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d’agonie ou un vagissement douloureux.
L’été venait de finir et l’automne naissait.
Il pouvait être huit heures du matin. Le soleil rôdait triste derrière les nues, et de l’angoisse, une angoisse imprécise et vague, pesait sur le village et sur la campagne.
Les travaux des champs étaient achevés et, un à un ou par petits groupes, depuis deux ou trois semaines, on voyait revenir à l’école les petits bergers à la peau tannée, bronzée de soleil, aux cheveux drus coupés ras à la tondeuse (la même qui servait pour les bœufs), aux pantalons de droguet ou de mouliné rapiécés, surchargés de « pattins » aux genoux et au fond ; mais propres, aux blouses de grisette neuves, raides, qui, en déteignant, leur faisaient, les premiers jours, les mains noires comme des pattes de crapauds, disaient-ils.
Ce jour-là, ils traînaient le long des chemins et leurs pas semblaient alourdis de toute la mélancolie du temps, de la saison et du paysage.
Quelques-uns cependant, les grands, étaient déjà dans la cour de l’école et discutaient avec animation. Le père Simon, le maître, sa calotte en arrière et ses lunettes sur le front, dominant les yeux, était installé devant la porte qui donnait sur la rue. Il surveillait l'entrée, gourmandait les traînards, et, au fur et à mesure de leur arrivée, les petits garçons, soulevant leur casquette, passaient devant lui, traversaient le couloir et se répandaient dans la cour.

Louis Pergaud
La Guerre des boutons, Le roman de ma douzième annéeLa Déclaration de Guerre, (chapitre 1), in Première partie intitulée « La Guerre » 
1912